Qu’une
Malheureusement, ce résultat n’est pas un cas isolé dans l’horizon politique européen. L’extrême droite y a de plus en plus les faveurs d’une population en « crise » (2). Après tout il n’y a pas que la société de croissance (3) qui marche sur la tête. Partout en Europe, les discours populistes fleurissent et portent les voix d’une contestation facile, avec des coupables tout trouvé, envers les élites politiques et médiatiques, l’oligarchie, les banques, la mondialisation néo-libérale ou l’Europe, les immigrés, l’étranger, l’Islam, le travaillisme, les assistés, les pauvres.
Or, ces dernières années, ce discours d’extrême gauche (4) a été abandonné, à tort, par une bonne partie des gauches européennes converties à la sociale démocratie et au néo-libéralisme. Laissant ainsi un boulevard aux extrêmes droites pour mieux le récupérer et le galvauder. En parallèle, ce sont souvent les droites non extrêmes qui ont permis construire des peurs fantasmées, de diviser les sociétés mais aussi de dé-diaboliser ces discours haineux et nauséabonds.
L’exemple de la Sarkozie sécuritaire au pouvoir en France depuis dix ans, avec des discours de haine contre l’étranger, l’immigré, et les plus démunis présentés comme des parasites assistés de nos sociétés en est peut-être l’exemple le plus flagrant.
Comment nos sociétés aussi riches matériellement, aussi évoluées économiquement, et dont le modèle est convoité, peuvent-elles en arriver là ? Nous sommes les 20% à nous approprier 87% des ressources naturelles de la planète grâce à l’exploitation de 80 % du reste de la population mondiale. En outre, notre niveau de consommation tant enviée n’est pas généralisable puisque nous consommons, même les plus pauvres d’entre nous, au moins l’équivalent de 2, 3 voire 4, 5 planètes…
« Tout ceux qui, à gauche, refusent d’aborder sous cet angle la question d’une équité sans croissance, démontrent que le socialisme, pour eux, n’est que la continuation par d’autres moyens de rapports sociaux et de la civilisation capitaliste, du mode de vie et du modèle de consommation bourgeois. » André Gorz.
Une lecture décroissante de ce phénomène nous amène à analyser à la racine cette notion de richesse matérielle et ce qui y est associée. C’est-à-dire à questionner les fondements de nos sociétés occidentales : religion de l’économie, croissance, productivisme, consumérisme, capitalisme, matérialisme mais surtout l’imaginaire qui y est associé (11) : un imaginaire construit et entretenu par ses meilleurs outils que sont les médias et la publicité.
Une société de petits-bourgeois frustrés ?
Rôle de la publicité :
Reconnaissons que le vote pour l’extrême droite est significatif d’une souffrance. Mais cette souffrance ne serait-elle pas fantasmée (5) avant d’être liée à des raisons sociales ? En effet les plus démunis, ces victimes de la mondialisation et du néo-libéralisme, lorsqu’ils votent, votent plutôt à gauche. En France, il ne s’agit donc pas d’un vote de classe, comme le souligne dans son éditorial Libération (6) : « cette France rurale ou rurbaine, souvent si fière du portail ou du mur d’enceinte qui orne et protège sa propriété ? Cette France où l’on a vu, dimanche, l’éclosion d’un FN des champs venu s’ajouter à celui des banlieues qui avait supplanté celui des beaux quartiers – les trois continuant de persister. »
« Voiture obligatoire dans un désert médical »
On connaissait le vote d’extrême droite des beaux quartiers, construit sur une idéologie d’extrême droite classique. S’y était ajoutée une adhésion des quartiers dits difficiles. Celle-ci est en baisse. Enfin s’y est ajoutée une nouvelle classe issue de cette nouvelle France rurale ou rurbaine : « Des zones de grand désert culturel, où seule la plus vile télévision renvoie en continu l’image fantasmatique d’un pays menacé« . Cette France qui « trime« , alors que « dans les cités vous voyez des gens qui vivent avec des allocations » et « c’est nous qui payons ça. » Cette France de l’étalement urbain, de la fin des services publics, des magasins de proximité où la voiture est obligatoire et qui subit de plein fouet l’augmentation du prix du carburant. Cette France qui se sent « abandonnée« , cette France où le nombre d’immigrés est inversement proportionnel aux votes FN, cette France où « l’insécurité n’existe qu’à la télé« , cette France où l’on « vote pour protéger ce que l’on a« , où l’on « vote préventivement pour éviter la dégradation« .
« Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. » Gandhi.
Cette France dont l’imaginaire est façonné par la publicité qui lui vend l’illusion du bonheur. Un bonheur passant par le « toujours plus » et en particulier par le mode de vie de « la maison individuelle, la pelouse, la voiture » érigé comme modèle.
Cette France qui souvent travaille « toujours plus » pour gagner « toujours plus » puis consommer « toujours plus » pour encore mieux passer à côté de l’essentiel. Cette France frustrée de ne pas être aussi riche que les plus riches alors qu’il y a toujours plus riche que soit. Cette France qui nie son appartenance à sa condition ouvrière et qui a peur de se voir rattrapée par ceux « d’en bas », des immigrés, alors qu’elle-même n’appartiendra jamais à ceux d’en haut… ce qu’on lui laisse pourtant miroiter…
Cette France tellement frustrée de ne pas atteindre le bonheur promis, alors qu’elle a toujours obéis à toutes les injonctions (10) du capitalisme.
Ce vote est un symptôme de l’échec de la consommation comme vecteur d’émancipation.
Une crise anthropologique !
Vers une décolonisation de nos imaginaires… et une relocalisation ouverte ! (7)
Ce qui est le plus paradoxal dans cette France qui se sent « abandonnée » et qui « trime », c’est qu’elle a la chance de vivre dans des territoires stratégiques pour notre avenir. Alors que, pour ces populations, « les métropoles » représentent les « symboles de la mondialisation réussie » – ce qui renforce encore plus leur sentiment de frustration – c’est bel et bien la ville qui est dans une impasse énergétique et environnementale. C’est pourquoi, nous ne sortirons pas de l’impasse de ce modèle de développement, d’étalements urbains et de désertification des campagnes, sans une décolonisation de nos imaginaires. Ce n’est pas par la relance du pouvoir d’achat et de la croissance (8) que nous sortirons de ce non-sens sociétal. Il est temps de prendre conscience que ce modèle frustre toujours plus les populations, détruit les solidarités et les liens locaux, et rend toujours plus dépendant du prix du pétrole qui n’en finira pas d’augmenter.
L’enjeu n’est pas de donner un nouvel écran plat pour compenser des frustrations construites, ni encore moins d’ériger des frontières pour protéger son nouveau portail. L’enjeu est de redonner du sens à nos productions et consommations. L’enjeu est surtout de faire un pas de côté pour remettre au coeur de nos projets de sociétés tout ce qui procure réellement le bonheur comme la simplicité volontaire, la convivialité, le partage (9), la solidarité, la culture. L’enjeu est de se délivrer des cercles vicieux de la croissance.
Une croissance infinie dans un monde fini n’est pas seulement impossible, elle est surtout absurde. Nous atteignons là les limites de la croissance d’un point de vue culturel. Jamais une civilisation n’a été aussi riche matériellement et aussi miséreuse culturellement !
En complément, sur le sentiment d’insécurité
Une société qui a peur ? Détourner l’attention vers de faux problèmes ?
Rôle des médias :
Depuis le 11 septembre 2001, nous assistons à une succession de vagues de délires sécuritaires ; avant les élections de 2002 ; le passage de Sarkozy au Ministère de l’intérieur ; et plus récemment, la droitisation du discours des Guéant et autres Hortefeux. Les mises en scènes anxiogènes, complaisamment relayées par les médias, participent à la création de fantasmes et de peurs non fondées… qui servent la stratégie désespérée de la droite de rester au pouvoir. Malheureusement, l’histoire l’a toujours montré, ce genre de stratégie de division ne marche, au mieux, que de manière très éphémère, et finit toujours par se retourner contre la démocratie…
(1) Carte européenne du vote pour l’extrême droite : http://www.rue89.com/sites/news/files/assets/image/2012/04/carte_europe_xdroite_0.jpg
(2)AAA : le drame est-il celui qu’on croit ?, communiqué du PPLD. http://www.partipourladecroissance.net/?p=6804
(3) Présidentielles : croissance, le pacte impossible, http://www.partipourladecroissance.net/?p=7261
(4) Ecouter l’analyse de Dominique Vidal chez Daniel Mermet : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2441
(5) La « France qui souffre » ou la France qui fantasme ?, Judith Bernard le 23/04/2012, publié sur le site d’Arrêt sur image. http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4878
28 minutes sur Arte http://videos.arte.tv/fr/videos/28_minutes-6609800.html
(6) Les citations suivantes sont reprises du journal Libération de samedi 28 avril 2012 : http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/27/les-dupont-ou-durand-ils-n-ont-droit-a-rien_814963 et http://www.liberation.fr/politique s/2012/04/27/enclos_814971
(7) Décroissance : démondialisation, protectionnisme ou relocalisation ouverte ? http://www.partipourladecroissance.net/?p=6895
(8) Crise de la dette et Décroissance : le plan B. http://www.partipourladecroissance.net/?p=6918
(9) Quel projet pour la Décroissance : la Dotation Inconditionnelle d’Autonomie. http://www.partipourladecroissance.net/?p=7061
(10) « Au lieu de financer des services publics de proximité, un bistrot dans son quartier ou son village, on préfère acheter le nouvel I-phone ou la nouvelle Senseo. Au lieu d’acheter au petit commerce de proximité, on prend sa voiture pour aller au supermarché et ainsi tuer le commerce de proximité mais aussi les économies locales. Au lieu de financer une salle culturelle on préfère acheter un nouvel écran plat… Le tout toujours assis dans sa nouvelle voiture achetée à crédit… »
(11) Mais au fait, c’est quoi la croissance ? http://www.partipourladecroissance.net/?page_id=6958
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