Hervé
Journaliste spécialisé dans les questions écologiques au Monde, Hervé Kempf poursuit dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme une réflexion entamée dans Comment les riches détruisent la planète1. Il est intervenu à la Maison des associations de Genève il y a une semaine, à l’invitation de Solidarités, du Réseau des objecteurs de croissance et du Réseau climat et justice sociale. A partir d’une réflexion sur la crise écologique et financière, Hervé Kempf construit un plaidoyer concluant pour une nécessaire et inéluctable sortie du capitalisme.
lire la version pdf ou la version en ligne ci-dessousInterview : Dans votre ouvrage, vous évoquez une crise écologique qui porte sur trois dimensions: le climat, la perte en matière de biodiversité et la contamination chimique. En même temps, la première dimension semble occuper le devant le scène médiatique. Pourquoi?
Hervé Kempf: le changement climatique est effectivement mieux connu. Peut-être parce que les scientifiques compétents dans ce domaine ont su regrouper leurs connaissances au sein du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Mais je ne dissocie pas ce phénomène des deux autres dimensions. Le problème est bien global. La crise de la biodiversité – on parle de la sixième grande extinction des espèces – est tout aussi préoccupante et dramatique. Elle est peut-être moins bien comprise par le grand public pour trois raisons. Il est plus facile de vulgariser – au bon sens du terme – les problèmes climatiques, alors que la notion d’écosystème reste très complexe. Et il est vrai que dans le domaine de la biologie, c’est plutôt le domaine de la génétique qui a pris le devant sur les naturalistes. Enfin, il y a une dimension régionale aux extinctions d’espèces qui fait que l’on a de la peine à se mobiliser lorsqu’un animal est menacé à des milliers de kilomètre de chez soi.
Comment vous situez-vous par rapport aux réponses consistant à promouvoir le nucléaire ou la filière hydrogène comme réponse à l’effet de serre?
C’est un leurre, une manière d’éviter la vraie question qui est celle d’une nécessaire sortie du capitalisme. La filière hydrogène n’est qu’un replâtrage pour tenter de sauver la filière actuel du pétrole. Techniquement, je n’ai rien contre elle, elle mérite qu’on l’explore et peut avoir sa rationalité. Je ne suis pas anti-science, elle m’intéresse. Mais il est trompeur de la présenter comme voie de sortie à l’impasse climatique. De plus, toutes ces réponses techniques sont souvent à long terme, on nous les vend comme pouvant être une solution dans quarante ans. Mais nous sommes dans l’urgence. Dans les quinze années qui viennent, nous devrons fondamentalement changer notre rapport à l’environnement si nous voulons nous en sortir.
Et cela suppose une baisse de notre consommation énergétique et de biens matériels.
On voit une forte capacité du système capitaliste à intégrer la question environnementale, de tenter de lui apporter une réponse avec des instruments de marché. On voit même apparaître des fonds de placement qui se disent verts et qui spéculent sur l’eau.
Il y a un petit test qui permet de se faire immédiatement une idée. A tous ces acteurs du capitalisme écologique, il suffit de demander s’ils sont prêts à assumer une diminution de la consommation d’énergie de 3% par an et une diminution similaire dans le domaine des achats de biens matériels. Il s’agit en effet des objectifs que nous devons impérativement atteindre si nous volons stabiliser le taux de CO2 à l’horizon 2050. On remarque que dès que la question est posée dans ces termes, on n’entend plus ces acteurs, ils ne sont tout simplement pas prêts à une remise en cause aussi fondamental de nos rapports sociaux.
Vous êtes parfois critique par rapport aux partis. Ne s’agit-il pas d’une posture commode?
Il s’agit uniquement d’une critique par rapport à la vision productiviste de la gauche. Elle avait sa légitimité au XIXe siècle. Mais elle n’est tout simplement plus possible aujourd’hui. La question écologique n’est pas encore intégrée par les partis socialistes européens qui sont dominants à gauche, voire ni même ni par les formations plus radicales. En revanche, je suis convaincu qu’il faut une réponse de gauche à la crise écologique. La question sociale est tout à fait centrale dans la situation actuelle. Les réponses doivent être données dans un cadre de justice sociale qui n’est pas assez présent y compris dans ces partis pourtant soi-disant socialistes. Elle doit revenir au premier rang des préoccupation.
Vous ne revendiquez pas le concept de décroissance.
Je n’ai pas de problèmes idéologiques avec le concept. Disons plutôt que je ne le brandis pas pour des raisons pédagogiques. Si vous venez devant une assemblée en disant «vive la décroissance», vous braquez les gens ou alors vous entrez vite dans une querelle de chapelles. Je préfère poser la question en termes de réduction de la consommation énergétique et de biens matériels. Lorsqu’on pose cette question en termes globaux, elle devient plus facilement acceptable par les gens concernés. Et le cadre ce mode de vie plus simple doit inclure la question sociale. Lorsqu’on vit avec moins de biens, on doit réorienter les choix de production de notre société vers l’éducation, la santé, la culture, l’agriculture contractuelle et de proximité qui doit redevenir centrale dans notre rapport à l’écosystème. Il devient alors plus facile de discuter.
Dans votre ouvrage ou dans vos conférences, on vous sent presque optimiste quant à la possibilité de sortir de l’impasse capitaliste. En même temps, ces dernières années, il y a eu plusieurs crises économiques et l’on nous annonçait la fin d’un cycle; or quelques mois plus tard, tout repartait. Qu’est-ce qui aurait changé?
Nous sommes bien à un changement d’époque. Le système est en train de se recomposer. La crise écologique est globale et bien plus massive aujourd’hui. Et surtout, les esprit évoluent. Cela fait, en tous les cas depuis la fin des années soixante, que la crise de l’environnement est théorisée. Aujourd’hui, ce diagnostic est bien mieux compris, y compris du grand public. Et, sur le plan économique, l’ampleur de l’effondrement financier auquel nous assistons est sans commune mesure avec les crashes de ces vingt ou trente dernières années. L’économie des Etats-Unis est durablement atteinte. Et ni la Chine ni l’Inde ne retrouveront des taux de croissance aussi importants que ceux des dernières années. C’est une illusion d’espérer qu’ils vont participer au redémarrage du système capitaliste.
En même temps vous pointez aussi le risque d’une dérive autoritaire. La société écologique ne s’imposera-t-elle pas d’elle-même?
Le capitalisme a compris qu’il peut se passer de la démocratie. Ce qui n’était pas le cas auparavant. Le tournant est sans doute la chute de l’URSS. Jusque-là, démocratie et libertés économiques allaient de paires. Cela n’est plus aussi évident. Cela se voit aux Etats-Unis qui ont utilisé l’argument de la lutte contre le terrorisme pour faire reculer les libertés démocratiques et mener des guerres. Mais en France, on assiste à des dérives similaires. N’oublions pas que le président Sarkozy a été un ministre de l’Intérieur très actif en la matière. Des dirigeants comme Silvio Berlusconi ou Vladimir Poutine incarnent aussi ces dérives autoritaires.
Il s’agit d’une évolution fondamentale de l’oligarchie que de s’affranchir des valeurs démocratiques. Elle a tellement gagné en confiance en elle-même qu’elle ne se sent plus le besoin de se réclamer de ces libertés.
Lutter contre la vidéosurveillance ou le fichage ADN est donc aussi un combat pour l’écologie?
Tout à fait. Cela va être un des défis qui se posent au mouvement social. Il devra organiser des luttes pour rompre avec la logique capitaliste mais aussi éviter les pièges que lui tendra une oligarchie cherchant à légitimer sa domination via un contrôle autoritaire.
Note : Les deux ouvrages sont disponibles aux Editons du Seuil.
Source : propos recueillis par Philliphe Bach et publié de 15 mars sur Le Courrier