Le pic pétrolier c’est en 2020, estime Fatih Birol

logo-ppldLe rapport 2008 de l’Agence Internationale de l’Energie marque une inflexion majeure dans le discours qu’elle a tenu jusqu’alors. Elle prévoit désormais un taux de déclin annuel de la production de 6,7% dans les champs en exploitation et mentionne sans donner de date la perspective du plateau de production pétrolière. George Mombiot a demandé à Fatih Birol, l’économiste en chef de l’AIE de dater l’arrivée de ce plateau de production des pétroles conventionnels. Réponse : 2020. Si l’on se souvient du rapport Hirsh, qui évaluait à 20 ans le temps nécessaire pour la conversion des infrastructures en direction des énergies alternatives, on mesure le retard déjà pris. Alors, on commence quand ?

Par George Monbiot, The Guardian, 15 décembre 2008

Pouvez-vous imaginer une seule menace majeure pour laquelle le gouvernement britannique ne se préparerait pas ? Il emploie une armée de fonctionnaires et de consultants pour évaluer les risques d’attaques terroristes, d’effondrement financier, les inondations, les épidémies, et même les impacts d’astéroïdes, et tous travaillent pour élaborer des plans dans ces éventualités. Mais il y a un risque face auquel il semble tout à fait détendu. Le gouvernement n’a jamais mené sa propre évaluation de l’état de l’approvisionnement mondial en pétrole ni sur la possibilité qu’il puisse atteindre un pic puis décliner.

Si vous posez la question, vous obtiendrez toujours la même réponse : « les ressources mondiales de pétrole sont suffisantes pour l’avenir prévisible » [1]. Il le sait, dit-il, en raison des évaluations qui sont réalisées par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) et publiées dans ses rapports annuels de Prospective de l’Energie Mondiale. Dans le rapport de 2007, l’AIE semblait partager le point de vue du gouvernement. « Les ressources pétrolières mondiales », y lit-on, « sont jugés suffisants pour répondre à la croissance prévue de la demande d’ici à 2030 » [2] ; si ce document ne dit rien sur ce qui se passera à ce moment-là, ni sur le fait que ces ressources continuent à être suffisantes après 2030. Mais, en ce qui concerne les autorités, la question s’arrête là. Comme la plupart des gouvernements des pays riches, le Royaume-Uni considère les prévisions de l’AIE comme parole d’évangile. Au début de cette année j’ai déposé une requête, dans le cadre de la Loi de libre accès à l’Information, auprès du ministère de l’industrie, demandant à ce que me soient communiqués les plans préparés par le gouvernement pour un pic pétrolier en 2020. La réponse a été celle-ci : « le gouvernement ne ressent pas la nécessité de préparer des plans d’urgence concernant en particulier l’éventualité d’un pic de l’approvisionnement en pétrole brut entre aujourd’hui et 2020 » [3].

Donc l’AIE a sacrément intérêt à avoir vu juste. Dans le rapport sur le pic pétrolier commandé par le ministère américain de l’Energie, l’expert pétrolier Robert L. Hirsch a conclu que « en l’absence d’une adaptation en temps voulu, les coûts économiques, sociaux et politiques » du pic de l’offre pétrolière mondiale « seront sans précédent » [4]. Il poursuit en expliquant ce que signifie « adaptation en temps voulu » : même si le monde développait une réponse en urgence « 10 ans avant le pic pétrolier mondial », écrit-il, on subirait « un déficit de combustibles liquides durant à peu près une décennie après le moment où le pétrole aurait atteint un pic » [5]. Afin d’éviter l’effondrement de l’économie mondiale, nous devons entreprendre « Un programme d’adaptation en urgence 20 ans avant le pic » [6]. Si Hirsch a raison et si le pic de l’approvisionnement en pétrole a lieu avant 2028, nous sommes vraiment mal partis.

Mettez vous bien ça en tête : entre 2007 et 2008, l’AIE a radicalement changé son évaluation de la situation. Jusqu’à la publication du rapport 2008, l’agence se moquait des gens qui disaient que l’approvisionnement en pétrole pouvait décliner. Dans la préface à un livre qu’il a publié en 2005, Claude Mandil, son directeur exécutif, décrivait ceux qui mettaient en garde contre cet événement comme des « prophètes de malheur ». « L’AIE a depuis longtemps soutenu que rien de tout cela n’est une cause d’inquiétude », écrivait-il. « Les ressources en hydrocarbures partout dans le monde sont abondantes et alimenteront aisément le monde durant sa transition vers un avenir énergétique durable » [7]. Dans le World Energy Outlook de 2007, l’AIE prévoyait que le taux de déclin de la production des champs pétrolifères existants serait de 3,7% par an [8]. Ce qui, pour l’agence, représentait un défi à court terme, laissant la possibilité d’une pénurie temporaire des approvisionnements en 2015, qui pourrait cependant être évitée à condition d’investir suffisamment. Mais le nouveau rapport publié le mois dernier, contient un message très différent : il prévoit un taux de déclin de 6,7%, ce qui implique un déficit à combler bien plus fort [9].

Plus important encore, dans son rapport 2008 l’AIE suggère pour la première fois que l’approvisionnement mondial de pétrole pourrait toucher ses limites. « Bien que la production mondiale totale de pétrole ne devrait pas atteindre son pic avant 2030, la production de pétrole conventionnel … devrait connaître un palier vers la fin de la période de la projection » [10]. Ces quelques mots font apparaître un changement majeur. Jamais auparavant un rapport de l’AIE n’avait prévu un pic ou un plateau de la production mondiale de pétrole conventionnel (ce qui est ce que nous entendons lorsque nous parlons de pic pétrolier).

Mais le rapport n’est pas plus précis que cela. Cela signifie-t-il ou non que nous avons le temps de nous préparer ? Que signifie « vers la fin de la période de la projection » ? L’agence n’a jamais produit une prévision plus précise – jusqu’à maintenant. Pour la première fois, lors de l’interview que j’ai réalisée avec Fatih Birol, l’économiste en chef de l’agence nous a donné une date. Et elle devrait effrayer quiconque en comprend les implications.

(JPG) Fatih Birol, le principal auteur du nouveau rapport 2008 de l’agence, est un homme vif, qui ne se laisse pas impressionner. Il m’a expliqué que les nouvelles projections de l’agence sont fondées sur une étude de grande ampleur qu’il a menée sur le taux de déclin de la production des 800 plus grands gisements pétrolier dans le monde. Alors, d’où provenaient les chiffres antérieurs ? « Il s’agissait d’une, estimation, une estimation sur les champs de pétrole mondiaux. Cette année, nous avons observé cela pays par pays, gisement par gisement et nous avons observé les champs sur terre et offshore. Cela a été très très détaillé. L’an dernier, il s’agissait d’une hypothèse et, cette année, c’est le résultat de notre étude. » Je lui ai dit qu’il semblait extraordinaire pour moi que l’AIE n’ait pas réalisé ce travail auparavant, mais uniquement fondé son appréciation sur une conjecture experte. « En fait, personne n’avait procédé à cette recherche, » m’a-t-il dit. « Ce sont les premières données mise à disposition du public » [11].

Mais alors, n’était-il pas irresponsable de publier un taux de déclin de 3,7% en 2007, alors qu’il n’y avait pas eu de recherches effectuées ? « Non, nos hypothèses précédentes sur le déclin ont toujours indiqué qu’ils s’agissait d’hypothèses reflétant au mieux notre connaissance – et nous avons également écrit que cette baisse [pourrait être] plus élevée que ce que nous avons supposé. »

Puis, je lui ai posé une question pour laquelle je ne m’attendais pas à obtenir de réponse : pouvait-il me donner la date précise à laquelle il s’attend à ce que les approvisionnements en pétrole conventionnel cessent de croître ?

« En termes hors OPEP [les pays en dehors du cartel des grands pays producteurs de pétrole] », m’a-t-il répondu, « nous nous attendons à ce que dans trois, quatre ans, la production de pétrole conventionnel arrive à un plateau, et commence à diminuer. … En termes de situation globale, en supposant que l’OPEP investisse en temps voulu, le pétrole conventionnel peut encore durer, mais nous nous attendons toujours à ce qu’il atteigne un plateau vers 2020, ce qui n’est bien sûr pas une bonne nouvelle du point de vue de l’offre globale de pétrole. »

Autour de 2020. Cela transforme radicalement la question. La date avancée par M. Birol, si elle est correcte, nous donne environ 11 ans pour nous préparer. Si le rapport Hirsch a raison, nous avons déjà manqué le rendez-vous. M. Birol indique que nous avons besoin d’une « révolution énergétique mondiale » afin d’éviter une pénurie pétrolière, en incluant un vaste effort mondial pour exploiter les pétroles non conventionnels (désastreux pour l’environnement), comme les sables bitumineux canadiens. Mais rien de cette ampleur n’a encore été entrepris, et Hirsch suggère que même si cette révolution commençait aujourd’hui, les investissements nécessaires et les transformations de l’infrastructure ne pourraient intervenir à temps. « Je crois que le temps ne joue pas là en notre faveur, » m’a confié Fatih Birol.

Lorsque je l’ai pressé dans ses retranchements sur le changement de discours de l’agence, il a fait valoir que l’AIE avait eu tout le temps la même position. « Nous avons dit dans le passé qu’un jour nous allions manquer de pétrole. Nous n’avons jamais dit que nous avions des centaines d’années de pétrole … mais ce que nous avons dit c’est que cette année, par rapport aux années précédentes, nous avons vu que les taux de baisse de la production sont sensiblement plus élevés que ce que nous avions observé avant. Mais notre position, qui est que nous sommes sur une trajectoire énergétique non soutenable n’a pas changé ».

Cette attitude tente de sauver la face, mais elle est bien évidemment intenable. Il y a une grande différence entre un taux de déclin de 3,7% et un taux de 6,7%. Et il y a une différence encore plus grande entre suggérer que le monde est sur une trajectoire énergétique insoutenable – déclaration à laquelle quiconque peut souscrire – et révéler que l’approvisionnement en pétrole conventionnel est susceptible de connaître un plateau autour de 2020. Si c’est bien ce que voulait signifier l’AIE par le passé, elle ne s’était pas exprimée très clairement.

Que pouvons-nous faire ? Nous pouvons chercher refuge à la campagne. Nous pouvons aussi espérer et prier pour que Hirsch se soit trompé sur cette période de 20 ans et entreprendre aujourd’hui un programme d’urgence sur l’efficacité énergétique et l’usage de l’énergie électrique. Dans les deux cas, le gouvernement Britannique ferait bien de commencer à élaborer certains plans d’urgence.

Lire aussi :

AIE – Energies et climat : les tendances actuelles sont insoutenables Résumé du rapport de l’AIE


Publication originale The Guardian, traduction Contre Info

Illustration : WEO 2008 – on notera que le plateau en 2020 est une estimation optimiste. La zone bleu clair du graphique correspond à des ressources « à développer ou à découvrir »


[1] DECC Press Office, 28th October 2008. Statement emailed to Duncan Clark at the Guardian

[2] International Energy Agency, 2007. World Energy Outlook 2007, page 43. IEA, Paris

[3] BERR, 8th April 2008. Response to FoI request, Ref 08/0091.

[4] Robert L. Hirsch, Roger Bezdek and Robert Wendling, February 2005. Peaking of World Oil Production : Impacts, Mitigation, & Risk Management. US Department of Energy, page 4. PDF

[5] ibid, page 59

[6] ibid, page 65

[7] International Energy Agency, 2005. Resources to Reserves : Oil and Gas Technologies for the Energy Markets of the Future, page 3. IEA, Paris.

[8] International Energy Agency, 2007, ibid, page 84

[9] International Energy Agency, 2008. World Energy Outlook 2008, page 43. IEA, Paris.

[10] ibid, p103

[11] ENtretien diffusé sur le site du Guardian

Ce contenu a été publié dans Documents - les suppléments, Revue de médias. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.