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L’approche parait quand même toujours aussi technique et scientifique. La dimension humaine et politique parait légère. Mais, c‘est très intéressant de voir que le débat s’ouvre.
Publication originale Common Dreams, traduction Contre Info
Paradoxe des temps modernes. Les extraordinaires avancées des sciences et des techniques ont permis à l’humanité d’accumuler un savoir faireet une capacité de production à même de satisfaire la plupart de ses besoins, et pourtant cette richesse potentielle, loin de se traduire par l’accomplissement des promesses du progrès, s’accompagne aujourd’hui d’une inégalité toujours accrue, d’une énorme demande sociale non satisfaite, et d’une pression croissante sur les conditions d’existence au nom du sacro saint rendement compétitif. Mais rendement de quoi ? Loin de permettre de libérer l’homme, l’intelligence, les énergies mobilisées, les efforts consentis, englués dans un système devenu inefficace, inadapté et dangereux, conduisent l’humanité à sa perte. Le système économique – dont la structure est un archaïsme hérité des temps obscurs où la rareté dominait – poursuit sa trajectoire aveugle et insoutenable qui nous rapproche inexorablement de l’épuisement des ressources primaires, et de la dévastation de notre planète. « Prosperity Without Growth ? » est un ouvrage (disponible gratuitement en ligne) publié par la Commission du Développement Durable, une agence gouvernementale du Royaume-Uni, qui ose aborder de front cette question brulante. La croissance, telle que nous la pratiquons, est dans l’impasse. Il faut repenser à nouveaux frais nos modèles de développement, et renoncer à la religion du PIB. Cela implique-t-il un retour aux privations ? Nullement. Les études effectuées de par le monde montrent qu’une fois atteint un niveau de revenu situé entre la moitié et les deux-tiers de ce qu’il est aujourd’hui aux USA, le sentiment de bien-être n’augmente plus en relation avec l’accroissement des revenus. Renoncer à la croissance, ce pourrait donc être simplement renoncer au « toujours plus » du consumérisme, à la recherche vaine de la distinction par les colifichets du « je le vaux bien » narcissique. Une telle révolution, non seulement économique mais également culturelle, est possible, nous dit la Commission Britannique, qui indique en s’appuyant sur les travaux de l’économiste canadien Peter Victor que cela permettrait également de travailler moins.
Nous publions ci-dessous la note de lecture de cet ouvrage rédigée par Charles Siegel pour Common Dreams, et fournissons le lien de téléchargement.
Par Charles Siegel, Common Dreams, 28 avril 2009
Quand une commission du gouvernement britannique publie un rapport appelant à mettre un terme à la croissance économique, il semble tout à coup que notre monde soit en pleine mutation. La croissance est l’objectif central pour les économistes depuis le début de la révolution industrielle. Aujourd’hui le professeur Tim Jackson, le Commissaire Economique de la Commission du Développement Durable du Royaume-Uni publie un ouvrage qui résume l’état actuel de nos connaissances sur la croissance économique et montre de façon convaincante qu’il faut y mettre un terme.
Nous avons tous entendu parler des effets de la croissance sur l’environnement, tels que l’épuisement des ressources et le réchauffement de la planète. L’opinion communément admise est que nous pouvons y faire face en adoptant des technologies plus efficace. Mais ce livre affirme qu’il n’existe pas de scénario plausible dans lequel le progrès technologique pourrait à lui seul réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre si la croissance se poursuit à son rythme actuel. « La taille de l’économie mondiale est presque cinq fois supérieure à ce qu’elle était il y a un demi-siècle. Si elle continue à croître au même rythme, ce chiffre sera de 80 en 2100. » Les efforts déployés pour utiliser au mieux la technologie afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre seront vraisemblablement submergés par ce rythme rapide de croissance.
Si nous voulons sérieusement éviter les pires effets du réchauffement de la planète, nous devons aller au-delà de ce genre de solutions technologiques et repenser la croissance économique elle-même.
Mettre un terme à la croissance économique n’implique pas pour autant faire des sacrifices. Les données montrent que, au-delà d’un certain point, la croissance n’entraîne pas un accroissement de notre bien-être. Par exemple :
Les comparaisons internationales sur la perception du bonheur indiquent que l’élévation du revenu par habitant est corrélée avec la perception du bonheur jusqu’à ce que le revenu atteigne un niveau situé environ entre la moitié et les deux tiers de ce qu’il est aujourd’hui aux États-Unis. Au-delà, il n’y a pas de corrélation entre l’augmentation des revenus et celle du sentiment de bonheur. Aux États-Unis et dans plusieurs autres pays développés, la hausse du revenu ne s’est pas traduite par une hausse de cette perception durant les dernières décennies.
Les indices qui pondèrent le PIB pour mesurer le bien-être avec plus de précision donnent des résultats similaires. Par exemple, l’Indicateur de progrès véritable (Genuine Progress Indicator) montre que, jusqu’aux années 1970, le bien-être des américains augmentait avec le revenu. Mais depuis lors le sentiment de bien-être a baissé, bien que le PIB par habitant ait continué à augmenter.
Les comparaisons internationales des autres mesures du bien-être, comme l’espérance de vie et la réussite scolaire, donnent également des résultats similaires. L’augmentation du revenu n’améliore plus le bien-être après que le revenu par habitant ait atteint environ la moitié de ce qu’il est aux États-Unis aujourd’hui.
Dans les pays développés, nous sommes arrivés à un point où la croissance économique ne nous apporte que peu ou pas d’amélioration. Mais la croissance menace de causer de grands dommages à nous-mêmes et au reste du monde, avec le réchauffement de la planète, l’augmentation du prix des ressources et le risque d’effondrement écologique.
Pourtant, il semble encore difficile de nous défaire de notre dépendance à la croissance. Le consensus est que la croissance est nécessaire pour réduire le chômage et promouvoir la stabilité économique. Comme on peut le constater au cours de cette récession, lorsque la croissance faiblit, les entreprises réduisent leurs niveaux d’investissement et licencient les travailleurs, rendant l’économie moins efficace et augmentant le chômage. On pense également que nous avons besoin de croissance pour faire face à des niveaux élevés de dette privée et publique.
En réponse à ces questions, l’ouvrage cite les études de Peter Victor, un économiste canadien qui a utilisé des modèles informatiques pour étudier la manière dont l’économie canadienne réagirait à un arrêt de la croissance. Les résultats se transforment de façon spectaculaire en modifiant les valeurs des variables macro-économiques telles que le taux d’épargne, les taux d’investissement public et privé, et la durée de la semaine de travail. Dans l’un des modèles testé, la fin de la croissance entraîne l’instabilité économique, un chômage élevé et une augmentation de la pauvreté. Avec d’autres paramètres, la fin de la croissance apporte la stabilité économique, une réduction de moitié à la fois du chômage et du taux de pauvreté, et une réduction du ratio de la dette au PIB de 75%. Ces différences dans ce deuxième scénario proviennent en partie d’un taux d’épargne plus élevé, d’un plus faible taux de l’investissement privé et d’un taux plus élevé de l’investissement public.
En outre, « le chômage est évité… en réduisant à la fois le nombre total et le nombre moyen d’heures de travail. La réduction de la semaine de travail est la solution structurelle la plus simple et la plus souvent citée au problème du maintien du plein emploi, avec une stabilité du niveau de production. » La fin de la croissance rendrait la vie plus facile en réduisant la quantité de travail que nous avons à fournir.
Il y a très peu d’études macro-économiques de ce genre, alors que d’évidence, il en faudrait beaucoup plus.
Le livre insiste en permanence sur le fait qu’une double approche est requise pour mettre un terme à la croissance : en plus de ces changements économiques, il est nécessaire qu’aient lieu des changements sociaux remettant en cause la place accordée aux valeurs matérialistes. On peut déplorer que l’ouvrage soit plus faible en ce qui concerne les changements sociaux que pour les changements économiques. Il appelle au passage d’une économie qui vise à l’opulence ou l’utilitarisme à une économie qui vise à l’épanouissement humain, mais il ne propose pas une vision convaincante de ce que la vie pourrait être dans une société où les gens ont un niveau de vie confortable et jouissent de temps libre en abondance pour développer leurs talents et de leur humanité dans toute la mesure du possible. Il existe une longue tradition philosophique à ce sujet, remontant à Aristote, mais ce livre, écrit par un économiste, n’est pas très convaincant en ce domaine.
Malgré cette limitation, « La prospérité sans la croissance ? » est le meilleur résumé disponible des enjeux économiques de la fin de la croissance. Il s’agit d’une lecture obligatoire pour tous ceux qui oeuvrent pour éviter un effondrement écologique.
Le fait qu’il soit publié par une Commission du gouvernement britannique fait naître l’espoir que nous pourrions faire mieux que d’éviter simplement l’effondrement. Si l’on applique les suggestions de cet ouvrage, le monde à la fin de ce siècle serait meilleur qu’il n’est aujourd’hui, bénéficiant d’une grande prospérité, non pas consacrée à une vaine consommation, mais au bien vivre.
Sur le Web :
Commission du Développement Soutenable Britannique
Publication originale Common Dreams, traduction Contre Info