« Dans les lointaines années 1970, un essayiste, un pamphlétaire, un lanceur d’idées et surtout un critique de la société industrielle travaillait dans une sorte de cabane dans un village paysan du Mexique et en sortait, une ou deux fois l’an, pour faire le tour du monde… » Ainsi commence le dossier que la revue Esprit consacre ce mois-ci à un auteur qu’elle a toujours suivi : Ivan Illich. Ivan Illich l’inclassable, né en 1926 à Vienne et mort en Allemagne il y a 8 ans, connu pour ses pamphlets écrits à Cuernavaca où il s’était installé dans les années 60, et où il animait le fameux CIDOC, centre interculturel de formation. Relayée en France par les amis que furent André Gorz et Jean-Pierre Dupuy, on résume souvent sa pensée par un adage scolastique qu’il affectionnait : « la corruption du meilleur engendre le pire ». Illich fut en effet le premier à nous mettre en garde sur la portée de l’institution : dépassé un certain seuil, ses effets positifs peuvent s’inverser…La voiture finit par paralyser, la médecine par rendre malade, et l’école ignorant.
Dans son dernier livre, l’économiste Serge Latouche, l’un des pionniers en France de la théorie de la décroissance, fait d’Ivan Illich un précurseur : bien qu’il n’ait jamais employé le mot même de « décroissance », affleurent constamment dans son œuvre des thèmes apparentés comme l’autolimitation des besoins, la contre-productivité ou l’insoutenabilité de notre mode de vie. Pourtant sans doute par horreur de l’esprit de système, Illich n’a jamais cherché à offrir un projet alternatif. C’est même précisément quand il a parlé de la croissance qu’Illich a manié trop rapidement, au goût de l’économiste Denis Clerc, son concept de contre-productivité. Il n’est pas certain que la croissance s’arrête d’elle-même, comme il l’avait écrit dans les années 1970.
Invités : Serge Latouche, professeur émérite d’économie à l’Université d’Orsay Objecteur de croissance Denis Clerc (au téléphone), economiste Conseiller de la rédaction d’Alternatives économiques Marc Guillaume, economiste Professeur à l’Université Paris-Dauphine