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Par Thomas Avenel, Frédéric Denise, Christophe Ondet, Cynthia Toupet et Anne-Isabelle Veillot
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La densification des villes est une réponse naturelle au véritable fléau qu’est l’étalement urbain. Cet objectif de densification repose sur le constat que plus les villes sont denses, moins elles sont énergivores par habitant. Mais ce constat n’autorise pas à penser que la densification est la seule réponse à toutes les difficultés que connaissent actuellement nos villes, d’autant plus que ce sont les aires urbaines déjà surpeuplées et déshumanisées qui sont concernées. Cette densification n’est-elle pas un prétexte à tous ces projets de tours qui fleurissent sur les nœuds des réseaux de transport ? Il ne sert à rien de densifier si les urbains sont obligés de parcourir de longues distances pour aller travailler et faire leurs courses. La densification devrait avant tout viser aux rapprochements des fonctions d’habitat, de travail, de loisir, d’éducation et d’approvisionnement afin de limiter les déplacements. Faut-il pour cela construire toujours plus, et plus haut ?
Les tours, des impasses verticales
Pourquoi refuser ces projets de tours, aptes à limiter le mitage du territoire et contribuer à ce rapprochement des fonctions ? Est-ce parce qu’elles sont le symbole arrogant du capitalisme triomphant ? Pas seulement.
Une tour, en réalité, c’est une impasse… verticale. Ça ne va nulle part, sauf à vouloir se jeter du haut. Un truc désespéré. Les promoteurs, les multinationales, les urbanistes et les architectes sont prêts à se laisser convaincre par des arguments fallacieux pour justifier leur mégalomanie dépassée. Pourtant, une tour végétalisée, bardée de panneaux photovoltaïques et surmontée d’éoliennes, c’est quand même bien, non ?! C’est pire. C’est comme un 4×4 électrique peint en vert. Un monstre hybride et absurde, déguisé pour polluer en cachette, et inefficace par rapport aux enjeux énergétiques à venir. Car énergétiquement, c’est un désastre. Tous les efforts écolo-technologiques ne rembourseront jamais le gouffre que représente l’énergie nécessaire pour construire un gratte-ciel, l’entretenir et, un jour, le déconstruire. Bâtir un mètre carré à cent mètres de hauteur dépense dix fois plus d’énergie qu’au sol. Le gâchis de matériaux est écœurant. Pour une hauteur proportionnelle, la surface est au carré, le volume au cube ! Voyez la différence entre un éléphant et un chat : pour avoir les yeux quinze fois plus haut il sera trois milles fois plus lourd ! De plus on ne peut pas construire de tours en terre, en bois, en paille, en déchets recyclés. Non il faut du très solide et de l’insoutenable : du béton et de l’acier. Ensuite, l’énergie pour son fonctionnement est dans les mêmes proportions : ascenseurs, éclairage, ventilations, déperditions en tous genres.
Et si on recherche la densité, ce n’est pas le meilleur moyen. En effet un centre urbain historique est plus dense en habitants qu’un quartier vertical composé de tours, car celles-ci doivent respecter entre elles des distances importantes, proportionnelles à leur hauteur. Quant à la problématique de la lutte contre l’étalement urbain, soyons clairs : ce n’est pas avec des gratte-ciels que nous allons faire revenir en ville les habitants des lotissements périphériques. Il vaudrait mieux travailler pour faire de ces nouveaux territoires péri-urbains des lieux de vie à part entière, ouverts et autonomes. Car nous n’allons pas en plus, pour lutter contre l’étalement urbain, raser ces quartiers tout neufs ! Ce n’est donc pas l’habitation qu’il faut densifier mais les fonctions, les échanges locaux et les liens.
Priorité à la relocalisation
Mais au-delà de la polémique sur les tours, ne devons-nous pas réinterroger cet objectif de densification ? N’est-il pas incompatible avec la nécessaire transition de nos territoires urbains ? La recherche d’une plus grande autonomie alimentaire des villes par le développement d’une agriculture urbaine, de la production à l’échange ne pourra fonctionner qu’avec une densité modérée; une juste proportion entre nombre d’habitants et surface cultivée, en recyclant les espaces immenses dédiés à l’automobile. A cet objectif de densité, signe d’une compétition entre territoires, nous préférons la (re)localisation, et la reconquête par les citadins des espaces publics, démarchandisés pour accueillir les activités et les échanges entre des habitants ayant retrouvés leur autonomie de production : lieux festifs, espaces de gratuité, foires permanentes d’échange d’objets et de savoirs entre habitants.
Car la (re)localisation doit être pensée avant la densification. C’est par la localisation que les différents territoires trouveront cette autonomie, nécessaire pour diminuer les transports intempestifs : agriculture et manufactures en tous genres, en prélevant la matière première dans le recyclage de leurs propres déchets. Après, seulement, si elle s’avère nécessaire aux territoires en accroissement démographique, on peut alors imaginer leur densification. Et celle-ci pourra être obtenue en construisant le moins possible, par la reconversion des futures friches urbaines que constituent en quantité phénoménale les parkings, les garages, les centres commerciaux. S’il faut densifier sans construire, c’est aussi par la diminution de la taille des logements, permise par la reconquête de l’espace public et la mutualisation de fonctions telles que buanderies, ateliers de bricolage, lieux de réception, etc. créant ainsi, par la même occasion, les conditions d’une croissance des liens entre voisins d’un même quartier.
Les tours, et plus globalement la densification des villes, ne sont donc pas la bonne solution à l’étalement urbain ou à la crise énergétique. La solution est plus complexe car elle ne s’inscrit pas dans le paradigme économique porté par le capitalisme. Il faut au contraire dé-penser ce système. Nous devons densifier sélectivement le bâti existant, certes, mais aussi le rénover et l’isoler, et surtout repenser nos déplacements et, plus en général, nos modes de vie.
Les tours existent depuis bien avant le capitalisme!