Les
D’autres ont osé se lever contre leur gouvernement et contre le puissant Chevron, risquer des amendes ou des peines de prison. Ils n’ont épluché les rapports sur les mérites et les dangers du gaz de schiste pour s’engager. Ils n’ont pas étudié la composition des produits chimiques injectés dans les sols, ni mesuré la part des déchets qui ne seraient jamais recyclés. Ils ne se sont pas laissés impressionner par ceux qui leur prétendaient que le gaz de schiste était le seul moyen de remplacer un pétrole maintenant trop rare, ni par ceux qui affirmaient que cette nouvelle énergie limiterait le réchauffement climatique.
Ils ont vu l’eau noire, les routes défoncées par les camions, les fissures apparaître sur les façades de leurs maisons. Ils ont immédiatement senti le danger : sans eau, ils ne sont plus rien, ni eux, ni leurs bêtes, ni leurs champs.
Par chance, ils avaient rencontré, quelques années auparavant, un réalisateur d’origine polonaise, Lech Kowalski, américain d’adoption, militant de toujours, pour qui la caméra est aussi un formidable outil défensif. En Pennsylvanie, il avait déjà interviewé les voisins d’exploitations de gaz de schiste, filmé la couleur de l’eau de leurs puits, les maladies de leurs peaux. Ses images ont protégé les paysans, apporté des preuves là où Chevron et le gouvernement œuvraient en catimini. Les paysans de Zurawlow sont présents sur les réseaux sociaux et soutenus par des hommes politiques européens (parmi lesquels José Bové). Grâce à ces appuis, ils se sont lancés dans une lutte kafkaïenne contre l’administration : pétitions, lettres argumentant point par point, numéro de loi à l’appui, illégalité des essais (en vertu notamment des lois protégeant les ressources aquifères). Cette aventure a fait l’objet d’un long métrage, diffusé par Arte, qui finissait comme un conte de fées : Chevron avait quitté les lieux.
Mais les paysans de Zurawlow sont méfiants. Un an plus tard, ils ont repéré des camions venant poser une simple barrière autour d’un champ. Immédiatement, ils se sont retrouvés pour habiter ce champ, de nouveau protégés par la caméra de Lech Kowalski. Le mauvais film d’espionnage a repris : écoutes téléphoniques, menaces d’emprisonnement, chantage. Ils y sont depuis bientôt un mois, nuit et jour, sous la pluie ou le soleil, mettant en danger leurs propres récoltes, l’entretien de leurs cheptels et la survie de leurs familles.
Malgré des soutiens fidèles et efficaces, la communauté internationale ne regarde pas encore cette région située à l’extrémité de l’Europe, où les touristes ne vont pas. Leur revendication est la nôtre : celle d’un mode de vie décent, de choix politiques qui tiennent compte des effets secondaires et induits. A Zurawlow comme ailleurs, c’est la peste qui chasse le choléra : pour lutter contre les émissions de CO2, on nous présente un gaz de schiste qui contamine les réserves en eau pourtant déjà rares ; en Allemagne, le charbon vient d’être réintroduit pour permettre la fermeture de centrales nucléaires. Les paysans de Zurawlow cherchent à protéger les écosystèmes, à maîtriser leur destin. C’est possible, à la fois par des politiques volontaristes d’économies d’énergie, comme le Japon a su les mener après Fukushima, par la production d’énergies propres, mais aussi par un changement des mentalités : une réappropriation par les citoyens des biens communs, à Zurawlow comme à Taksim et l’adoption de modes de consommation responsables.
Soutenir les paysans de Zurawlow, c’est montrer qu’une autre manière de décider, de consommer et de produire est possible, ici comme ailleurs.
Cécile Renault
Pour en savoir plus :
ARTE – Diffusion de la malédiction du gaz de schiste
mardi, 9 juillet 2013 à 08:55
Rediffusion jeudi 25 juillet à 08H55
(France, 2012, 83mn)
http://occupychevronfr.tumblr.com/